C’est le deuxième jour du séminaire. Après avoir eu les prémices de l’acrobatie avec Jonas, hier, je viens rendre visite aux trapézistes. Elice est la prof aujourd’hui.
Dans les toilettes de ce joli endroit: une affiche de dirigeants politiques dont Mitterrand, et derrière ces visages une foule de gens symbolisant le peuple.
Un texte au centre, les mots sont en français: Faire dire à l’esclave « je veux », plutôt que d’avoir à lui dire « tu dois ».
C’est anecdotique, mais ces mots écrits en français percutent la française que je suis.. Je vous les livre tels qu’ils me sont apparus.
Elice avait très envie de partager sa pratique du trapèze avec des gens ici mais elle était aussi pétrifiée.
Je ne crois pas la trahir en disant cela.
C’est le deuxième jour, elle est plus détendue.
4 personnes arrivent. Le corps bien tendu de muscles, les yeux bien brillants… bon ce ne sont pas des débutants!
Elice a bien préparé ses cours. Voici le premier exercice:
Dessiner des figures qui nous paraissent impossible à réaliser ou « los trucos imposibles ». Waouw. Une fois que l’impossible est tracé il faut lui donner un nom, j’adore!
Les crayons s’affolent, et l’excitation est palpable.
Nous faisons un tour de table une fois que nos oeuvres sont faites.
Nous parlons « paloma », pirouettes, « mortal »… bon je ne comprends pas grand chose comme la plupart d’entre vous, mais eux se comprennent très bien… ils ne sont décidément pas débutants…
A la fin de chaque nouvelle possibilité impossible ils s’exclament en coeur « waaaaaa!!! » comme si ils venaient d’apercevoir un rhinocéros rouge et jaune à petits pois qui parlerait le castellano et le finnois!
Ah ces trapézistes… (l’impression de découvrir un autre monde…)
Maintenant, échauffement. Oh la vache! Ils sont très souples. Très tout.
Ca va voler, je le sens.
Rituel de la guêtre. Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont des bottines sans semelles pour ne pas se déchirer les jambes quand on fait du trapèze.
Google vous renseignera mieux que moi sur ce rituel un peu bizarre…
Bon après 20 minutes d’enfilage des guêtres, nous entrons dans le vif du sujet.
Elice se met à la sono.
Ils doivent faire un enchaînement de trois figures. Ils le feront deux fois. Sur deux musiques différentes.
Nous, on fait le public, yeah!
La consigne importante, en plus des trois enchaînements techniques, c’est d’être neutre.
Le premier passage des 4 trapézistes extrêmement forts, n’est pas très neutre tout de même…
Elice, en bonne prof, rappelle cet élément très important.
Je vois dans les yeux des stagiaires comme des vides, ou doutes, ou questionnements envers ce « neutre ».
Le seul gars du groupe passe en premier dans ce deuxième passage.
Musique différente de la première. Lui… ben il est différent aussi mais… toujours pas neutre…
Elice, en bonne prof patiente mais exigeante précise ce qu’il y a à préciser.
Le vide dans l’oeil de l’homme est plus plein.
Les autres? Ils ont les jetons, c’est à leur tour de passer!
C’est une consigne difficile pour eux et pour tout ce qui l’ont expérimentée.
Il est souvent plus naturel de jouer un personnage ou de coller à la musique que d’être soi-même et de laisser la liberté au spectateur.
Peut-être, sûrement, nos trapézistes sont déboussolées ou se sentent « empêchés » de faire ce qui leur vient naturellement…
Elice sent cela, et explique que c’est une « technique » de jeu comme une autre, que finalement, quand ils sauront être neutre, ils auront le choix de décider comment ils veulent faire du trapèze.
Passionnant, isn’t it?
Dans les autres passages, la consigne est respectée.
Du public, les caractères de chacun étaient beaucoup plus présents.
Plus de fragilité, de simplicité, et de sincérité.
L’ambiance s’est apaisée.
Et une autre forme de pensée est née.
Une des trapézistes a dit: « si mon prof m’avait vu faire ça: être moi-même sans jouer autre chose, il m’aurait tué.. »
« Pour moi c’est juste le contraire »… Elice.
un bel enseignement aujourd’hui. 🙂
émilie
Paradoxe tres interessant.. je crois qu’il doit falloir connaitre les deux cotes de la chose.. les deux techniques. D’une part savoir etre neutre, pur, libre, laisser le public choisir la direction dans laquelle il veut penser. parfois. et d’autres fois savoir jouer, et aller dans une direction que l’on impose au public, sans le laisser reflechir. Les deux techniques se valent a mon gout, mais le travail de l’une quand on ne pratique que l’autre, est certainement tres formateur!